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23 mars 2009

Frères et soeurs

Travail effectué par Charles et Michelina Burgunder (Suisse) en 2000 dans le cadre de la formation à la relation d’aide avec Jacques Poujol, à partir des livres suivants :

- Sylvie Angel, Des frères et des sœurs, Les liens complexes de la fraternité, Éditions Robert Laffont.
- Jalousies et rivalités entre frères et sœurs, Adèle Faber et Elaine Mazlish, Ed. Stock.
- « C’est pas juste », Comment gérer les conflits entre frères et sœurs, Nancy Samalin, Ed. Flammarion.

INTRODUCTION, DEFINITION

Être frère et sœur, c’est être issu des mêmes parents, c’est avoir un patrimoine génétique, social et culturel commun. Les liens consanguins sont plus forts que tous les autres.

La naissance du premier enfant permet d’accéder à la parentalité. L'aîné fonde la famille : avant, il y avait deux adultes. Maintenant deux générations coexistent. On s’émerveillera encore à la naissance des autres enfants, mais il ne se produira plus cette transition du couple à la famille.

1. LA PLACE DANS LA FRATRIE

Y a-t-il une meilleure place qu’une autre ? Les réponses sont complexes. Jadis, le premier garçon né était effectivement privilégié. Il portait le nom, reprenait les traditions et héritait du patrimoine. Tous les espoirs reposaient sur lui. A l'aîné, les titres, la fortune, l’éducation. De nos jours, heureusement, ces traditions ont disparu.

Pourtant, sur le plan affectif, certaines traditions persistent : l’aîné ouvre les portes, il essuie les plâtres, mais il est le grand ; le petit dernier semble plus choyé. Mais aucune place n’a été repérée comme à risque. Aucune statistique ne mentionne qu’être le cadet ou l’aîné, ou celui du milieu, prédispose à une pathologie particulière.

Presque tous les aînés rêvent d’un grand frère ou d’une grande sœur idéalisés. Presque tous les enfants du milieu voudraient être plus grands ou rester bébés comme leur petit frère ou petite sœur, par nostalgie des moments privilégiés passés avec les parents.

2. L’ECART D’AGE

L’écart d’âge est un facteur important de la relation fraternelle : s’il est restreint, les enfants seront plus proches et cette proximité entraînera des jeux communs, une complicité, mais aussi une rivalité et de la jalousie - surtout si les enfants sont du même sexe.

Généralement, les parents souhaitent avoir des enfants des deux sexes, mais décident rapidement d’en faire un troisième quand les deux premiers sont de même sexe.

Les fratries du même genre

Évoquer une préférence, avant la naissance est mal perçu. Lorsque plusieurs filles (ou garçons) se succèdent, les parents sont ravis, mais une certaine déception peut être décelée après le troisième ou le quatrième enfant du même sexe. Ces sentiments se traduisent parfois par le choix d’un prénom mixte : Daniel(le), Dominique, Paul(e).

Dans une fratrie unisexuée, un des garçons devient inévitablement le confident de sa mère, alliance utile pour celle-ci afin de ne pas être disqualifié.

Une mère rapportait comment elle s’était sentie dépassée au moment de l’adolescence, ses cinq fils ayant grandi simultanément ou presque. Elle se regardait assise, à côté de « ses » six hommes (en comptant son mari) qui discutaient de foot, de batterie, etc.

3. LE CHOIX DES PRENOMS

« Nommer, c¹est agir sur celui qu’on désigne », Françoise Zoanbend.

Dans toutes les sociétés, l’individu reçoit, dans les jours ou les mois qui suivent sa venue au monde, un ou plusieurs noms indiquant son statut natal, son rang dans la fratrie ou sa place dans le groupe parental. Le prénom peut attirer l’attention sur l’enfant et le différencier du groupe, ce qui sera bénéfique ou défavorable en fonction de sa personnalité. S’appeler Gracieuse si l’on est très jolie, ça passe, mais si la jeune fille est laide, elle peut développer une agressivité légitime à l’égard de ses parents. Tenter d’individualiser précocement l¹enfant par un prénom rare peut avoir des conséquences catastrophiques.

Une étude de Claude Lévi-Strauss a dégagé trois fonctions principales du nom de la personnes : la première est la fonction d’identification qui permet de différencier les individus, la deuxième classe les gens dans leurs groupes d¹appartenance, la troisième est liée à la signification du nom, à son pouvoir d¹évocation.
Les prénoms mixtes

Dominique, Claude, Camille, autant de prénoms attribués aux garçons comme aux filles, sans modification d'orthographe : une lettre portant en en-tête «Dominique Dupond » ne dit rien du sexe de l'auteur. D'autres prénoms mixtes sont plus précis par leur orthographe, tels Daniel (ou Danielle), Rafael (ou Rafaelle), Stéphan (ou Stéphane), Ariel (ou Arielle)...

Une des interprétations psychanalytiques concernant le choix d'un prénom mixte donnerait pour signification le désir inconscient des parents d'avoir un enfant du sexe opposé, désir qui pourrait entraîner une ambivalence, voire des troubles de l'identité. Par exemple, un père rêve d'avoir un garçon et nomme sa fille Gabrielle. Celle-ci fera de son mieux pour répondre aux souhaits de son père en devenant un « garçon manqué ». Mais il faut toutefois éviter toute généralisation.

Les prénoms « originaux »

Certains parents recherchent l'originalité à tout prix et sont prêts à se battre avec l'état civil pour imposer un nom de fruit, d'objet ou un néologisme. Que penser du poids ainsi mis sur les épaules du bébé qui vient de naître ? Quel combat se cache derrière cette attitude ? Est-ce le déplacement d'un problème de couple ou bien un compte à régler avec l'histoire, l'administration, la famille ? Ce combat dure parfois des années...

Dans d'autres cas, l'originalité rappelle un épisode douloureux de l'histoire familiale et possède un sens caché : ainsi, des parents ayant attendu longtemps avant d'avoir un enfant l'appellent Désiré, Victoire, ou Bienvenu.

Des interprétations parfois troublantes transparaissent dans un contexte précis, associé à une problématique de deuil ou de réparation : René signifie renaît. Sylvie, s'il vit.

On a vu récemment apparaître des prénoms d'origine astronomique, comme Lune, Véga, Polaire... Des prénoms orientaux ou océaniens (Tao ou Maeva) sont désormais enregistrée dans les bureaux de l'état civil. Les pierres précieuses sont aussi à l'honneur : Béryl, Agate, Émeraude...

On cite le cas du prénom Kalache, diminutif de la célèbre mitraillette Kalachnikov. Dans certains pays africains, cette arme symbolise la « liberté », aussi le diminutif est-il donné à de nombreux enfants.

4. L’ENFANT UNIQUE OU DEVENU UNIQUE

Être enfant unique représente le fantasme de nombreux enfants qui rêvent d’être l’objet d’amour exclusif de leurs parents, tout comme l’inverse, l’enfant unique souhaite partager ses jeux et imagine des relations fraternelles idéalisées, sans rivalité ni égalité. Mais la réalité est plus complexe : avoir des frères et des sœurs apporte des contraintes et des plaisirs.

A l’âge adulte, les enfants uniques réalisent parfois leur rêve : devenir parents d’une fratrie nombreuse, mais cela n’est pas toujours facile, comme en témoigne le récit de Sabine et Grégoire. Sabine et Grégoire, tous deux enfants uniques. Ils ont eu quatre enfants, deux filles et deux garçons car, ayant souffert de solitude durant leur enfance, ils souhaitaient une grande famille. Les naissances ont été rapprochées, puisque l'aînée avait à peine huit ans quand la cadette est née. Chaque fois qu'éclatait une dispute entre les enfants, Sabine et Grégoire étaient paniqués : ils avaient imaginé pour leurs enfants une relation parfaite, sans heurts ni jalousie, bien éloignée de la réalité.

Être fils unique représente la condition de réalisation du destin oedipien dans sa double visée verticale : ascendante et descendante. Ascendante, c'est la condition d'émergence du complexe d’œdipe, l'unicité confirmant l'enfant dans la conviction qu'il est l'unique objet d'amour de la mère, le père devenant de ce fait l'unique rival. Descendante, c'est le contre-oedipe parental et surtout maternel, la mère se satisfaisant totalement d'un seul enfant qui, à lui seul, comble ses désirs et ses besoin, signifiant par là même que l'époux-père occupe désormais le second rang. En revanche, la naissance d'un second enfant replace ipso facto l'époux-père au premier rang des investissements de la mère, la lignée des enfants venant en second.

Walter Toman, en s'appuyant sur ses travaux concernant la position fraternelle, explique que de nombreux paramètres différencient un enfant unique d'un autre, en particulier la place dans la fratrie des parents. Par exemple, si le père est un aîné de frères, grâce à l'identification à son père, le fils unique peut prendre aussi des attitudes, des préférences d'un aîné de frères. Si sa mère est une cadette de frères, la fille unique devient un mélange d'enfant unique et de cadette de frères. Elle peut donc se montrer moins égoïste et avoir une humeur moins désagréable que telle autre fille unique. Si le parent du même sexe est lui-même un enfant unique, alors son enfant unique tend à présenter à un degré encore plus marqué les caractéristiques et le comportement social correspondant à cette position.

5. JUMEAUX ET TRIPLES

Les jumeaux monozygotes, ou vrais jumeaux, proviennent d’un seul ovocyte fécondé par un seul spermatozoïde. Cet oeuf se scinde par accident en deux embryons de même patrimoine génétique.

Les jumeaux dizygotes, ou faux jumeaux, sont issus de deux ovocytes différents, provenant d¹une double ovulation, fécondés par deux spermatozoïdes différents. Les faux jumeaux ne se ressemblent pas plus que des frères et sœurs, et c¹est parmi eux que l’on retrouve les couples fille-garçon.

Ainsi, dès la naissance, des différences importantes apparaissent, alors que le terme de jumeaux évoque l'idée du semblable, du miroir. En fait, la grande aventure gémellaire consiste à permettre à des individus de se forger leurs propres personnalités.

Définir l'aîné a moins d'importance qu'auparavant, car les privilèges liés au rang ont disparu dans notre société, mais cette question intéresse encore certains parents. Dans le droit romain, le premier enfant qui voit le jour est considéré comme le cadet, car il aurait été conçu après l'autre, alors que les Anglo-saxons pensent que le premier-né est l'aîné. En cas de naissances multiples, la définition du rang se révèle plus compliquée, et c'est l'ordre inscrit par l'état civil qui fixe la place de chacun.

On s'aperçoit que le jumeau, qui cumule le double handicap d'être de faible poids et considéré comme le cadet, risque d'être dominé par l'autre.

L'arrivée de jumeaux, et plus encore de triplés, modifie radicalement l'équilibre familial, ce qui amène à nommer parfois ces familles « gémellaires ».

Une mère de quadruplés expliquait : «Quatre enfants égalent seize heures de maternage par jour, c'est-à-dire vingt-quatre biberons à préparer, à donner... Et vingt-quatre changes par jour représentent près de huit cents couches par mois. Financièrement, c'est un gouffre. »

C'est pourquoi l'annonce d'une grossesse multiple n'est pas toujours bien acceptée.

Rafaelle raconte comment elle a eu trois enfants en deux ans. La formule utilisée montre aujourd'hui un certain recul par rapport à cette situation, car l'aînée, Carole, a douze ans et les jumeaux Alban et Claire onze ans. Mais les premières années furent terribles. Fatiguée par la césarienne, la mère n'arrivait pas à faire face et se sentait seule. Elle avait cessé de travailler pour s'occuper des enfants, et son mari voyageait souvent pour son travail.

Leurs conditions matérielles étaient précaires ; ils n'avaient pas pu déménager et les trois enfants dormaient dans la même chambre et se réveillaient fréquemment.

« J'avais le sentiment de ne profiter d'aucun de mes enfants, car les repas et les changes prenaient tout mon temps. J'étais inquiète, car les jumeaux étaient petits et fragiles. Je ne compte plus les rhinopharyngites, les toux la nuit... Avec le recul, je me rends compte que j'étais déprimée. Ma mère venait de temps en temps m'aider, mais elle me critiquait plus qu'elle ne me soutenait, et j'étais encore plus mal après. Nous ne sortions plus. J'étais trop fatiguée pour inviter. Je ne voyais plus personne. »

Toutes les familles s'accordent à dire que les premières années sont difficiles : le regard du voisinage, sans doute admiratif, sous-estime l'ampleur des tâches quotidiennes - six tétées ou biberons par jour et par enfant, agrémentés de pleurs des bambins insatisfaits qui attendent leur tour.

Une mère de quadruplés racontait comment elle avait réussi à trouver quatre «marraines » pour ses enfants, de façon à leur offrir un lien privilégié qu'elle ne pouvait leur assurer. « Mais c'était terrible, car j'étais jalouse de ces marraines qui avaient ce que je rêvais d'avoir : un moment d'intimité avec chaque enfant. »

6. DE LA JALOUSIE A LA HAINE

La jalousie est le premier mouvement émotionnel repérable dans la petite enfance. Les théories psychanalytiques la représentent comme un déplacement du conflit oedipien. Mais certains auteurs distinguent le « fraternel » du « parental », car ils pensent que le déplacement sur la rivalité oedipienne est réducteur et qu’il est nécessaire de laisser une place plus importante à la dimension fraternelle.

En fait, c’est une chose compliquée que la jalousie, et qu’on ne peut cependant occulter ; elle fait partie de nous, même lorsqu’elle est fortement refoulée, déplacée, sublimée, intellectualisée.

Dés la naissance du deuxième enfant, l’aîné découvre l’obligation de partage et peut ressentir des désirs de mort vis à vis du nouveau-né. L’agressivité est canalisée par les adultes présents qui tentent de limiter les impulsions et les exprimer, mais n’oublions pas que la jalousie représente une souffrance qui s’exprime sous différentes formes.

L’agressivité peut être une réponse à la conduite parentale qui favorise un enfant par rapport à un autre. Les marques d’amour ne sont pas suffisantes pour rassurer l’enfant. L’amour et la haine ne sont pas opposées car ces pulsions ont la même origine : le désir et l’insatisfaction. L’agressivité peut être agie (bagarre, violence...), s’exprimer par des conduites symboliques ou être dite.

Les réactions d’hostilité et de jalousie sont maximales lorsque l'écart d’âge séparant les enfants se situe entre deux et quatre ans. En dessous de deux ans d’écart d'âge, il s’établit entre les enfants une relation de compagnonnage évoquant celle des jumeaux. En revanche, lorsque cet écart est supérieur à 4 ans, les enfants sont plus indépendants l’un de l’autre et ont peu de réactions agressives entre eux.

Les réactions des enfants dépendent aussi des parents et de leur relation de couple. Les sentiments de leur enfance sont réactivés par ceux des enfants, d¹autant que leur jalousie n’est pas liquidée à l’âge adulte.

La capacité de l’enfant d’exprimer ses conflits ou, au contraire, de les refouler compte beaucoup.

Dans la Bible, des frères ennemis font l'apprentissage de la fraternité et se réconcilient. Joseph apparaît comme un modèle de bonté et de sagesse. Toute sa force, toutes ses actions sont mises au service des autres. Son exil en Egypte est, en fait, une mission de Dieu qui renforce ses capacités d'entraide.

L'entente fraternelle se construit progressivement, car le complot des frères contre Joseph les a unis dans le remords. Joseph leur montre que la clémence remplace la vengeance, que le pardon supplée à la haine.

Les histoires de Caïn et Abel, de Jacob et Laban, de Joseph et ses frères, signifient à quel point la haine est une réponse à la préférence exprimée clairement par Dieu ou par les parents. L'histoire de Joseph peut aussi être entendue comme un mécanisme de répétition trans-générationnel : il a été haï chez lui en raison de la jalousie de ses frères, conséquence de l'attitude trop aimante de son père, lui-même contraint de partir de sa maison à cause de la haine d'Esaü, conséquence de la préférence de sa mère...

7. L’AMOUR EXCESSIF ET LES RELATIONS INCESTUEUSES

L’inceste fraternel appartient à différents schémas relationnels et nous distinguerons les relations passionnelles (les relations incestueuses apparemment réciproques) et celles inscrites dans la violence, dans la contrainte, que nous désignerons par le terme d’abus sexuels.

L’inceste fraternel est plus fréquent qu’on ne le croit, mais il est souvent assimilé à des jeux enfantins. Les parents ne s’aperçoivent pas de la proximité de leurs enfants et renforcent leurs relations, fiers d’une si bonne entente. Les contacts physiques sont ambigus et l’affectivité confondue avec l’érotisme. Ces jeux peuvent entraîner des relations sexuelles, mais à part quelques exceptions, elles sont épisodiques et liées à un climat les favorisant.

Dans tous les cas, le système familial est dysfonctionnel, avec une différenciation des rôles perçue et, bien souvent, une carence affective des enfants, des deuils précoces pendant l'enfance ou l'adolescence renforçant le lien fraternel ou marquant l'absence de loi.

Les relations incestueuses se rencontrent parfois dans des familles où ce type de relation préexistait chez l'un des parents. Tout se passe alors comme si le père ou la mère qui a vécu une relation passionnelle avec un membre de sa fratrie induisait cette relation chez ses propres enfants. Cette situation s'est vérifiée dans des consultations familiales. Le cadre des thérapies familiales permet de travailler sur les rapports transgénérationnels et met à jour ces dysfonctionnements.

Des liens homosexuels s’établissent fréquemment après la rupture de l’inceste, ces relations sont un essai de réparation du manque fraternel mais aussi maternel, elles sont de même envahissantes et passionnées.
Les abus sexuels

Ils sont plus fréquents que l'on ne croit, et visiblement refoulés à l'extrême. La littérature reste discrète par rapport à ces traumatismes qui influent sur le devenir des individus.

Les incestes parents-enfants, principalement père-fille, font l'objet de nombreux écrits, et depuis quelques années, les témoignages se multiplient, tout comme les émissions de télévision. Pourquoi, alors, ce silence sur les incestes dans la fratrie ? Probablement parce qu'ils sont souvent assimilés à des jeux d'enfants, confondus avec des relations affectives positives, ou parce qu'ils ne sont pas dénoncés.

Les cas relatés s'inscrivent dans une dynamique de famille incestueuse où les relations sexuelles se succèdent, du père aux filles et aux fils, puis des frères aux sœurs. Ce fonctionnement pervers reste néanmoins rare, mais le ralentissement des abus sexuels partiels ou complets entre frère et sœur peut être dramatique et entraîner des traumatismes majeurs, autant que l'inceste parental.

« Et si on jouait à faire pleurer Emma ? »

C'est ainsi que se déroulaient les jeux du week-end pendant l'enfance d'Emma, véritable souffre-douleur de ses six frères et sœurs. Emma était la benjamine, mais l'avant-dernier enfant était décédé en bas âge.

Emma avait huit ans quand leur mère mourut et le père se sentit vite débordé par ses enfants. Seul Martin, l'aîné des garçons, s'opposait aux jeux cruels du dimanche, Martin le plus gentil, le trop gentil Martin. Martin abusa de sa petite sœur pendant des années et, comme toute enfant victime d'un inceste, Emma ne disait rien, la honte l'envahissait.

Dès qu'elle eut l'âge de quitter la maison, Emma partit loin et, pendant des années, elle erra à travers le monde sans jamais prendre racine. Vingt ans après, elle rentra en France, par hasard, parce qu'un ami l'avait sollicitée pour un travail. La dépression, qui ne l'avait pas quittée au fil des ans, était néanmoins masquée par ses déplacements incessants. Son retour réactiva ses souffrances.

Il lui fallut deux années de psychothérapie pour qu'elle raconte son passé traumatique ; la mort de sa mère, les absences de son père, les jeux sadiques de ses frères et sœurs. Elle n'évoqua son secret que bien longtemps après et arrivait à peine à prononcer le prénom de Martin. Progressivement, la douleur s'estompa, même si elle savait qu'elle n'oublierait jamais. Elle revit sa sœur aînée, qui lui donna des nouvelles de la famille, et se décida à téléphoner à Martin.

« Allô ! Emma Dupont à l'appareil.

- Emma Dupont, c'est moi en effet », répondit une voix féminine au bout du fil.

C'est par ce quiproquo qu'Emma apprit que Martin avait épousé une femme prénommée Emma. Une bouffée d'angoisse l'envahit. Ce fut le seul coup de fil qu'elle donna.

Emma fit progressivement le deuil de sa terrible enfance. Si elle reconquit une certaine stabilité professionnelle, sa vie affective resta vide, tout investissement émotionnel lui paraissant trop dangereux.

L'histoire de Roxane

L'histoire de Roxane présente des similitudes avec celle d'Emma, mais s'est construite dans un contexte de famille unie, sans décès précoce de l'un des parents.

Roxane mit de nombreuses années à révéler à sa famille le drame qu'elle avait vécu.

L'aîné de ses frères, Thibault, âgé de quinze ans, abusa d'elle quand Roxane avait huit ans.

Thibault quitta sa famille après une violente dispute avec son père et ne donna de ses nouvelles que plusieurs mois plus tard. Errance, marginalisation, alcool, héroïne.

Roxane grandit tristement entre ses parents et ses autres frères et sœurs. À l'âge de seize ans, elle annonça un jour à sa famille qu'elle en avait assez de l'école : elle voulait travailler. Les parents consultèrent un psychologue qui diagnostiqua une phobie scolaire. Malgré les entretiens thérapeutiques, Roxane ne changeait pas d'avis. Sur les conseils de ce psychologue, les parents demandèrent un avis complémentaire.

L'entretien permit de cerner un élément important du système familial, mais pourtant personne n'imaginait à l'époque le secret de Roxane. Thibault venait de réintégrer le domicile familial, et le thérapeute interpréta les symptômes de Roxane comme un signal d'alarme pour aider Thibault à sortir de la drogue. Toute la famille consulta, Thibault fut aidé et Roxane choisit une nouvelle orientation scolaire. Tout rentrait dans l'ordre.

Roxane partit un an chez ses cousins en Allemagne pour servir de baby-sitter et parfaire son apprentissage de la langue. Son père fut averti que Roxane avait une liaison avec ce cousin germain. Le scandale fut considérable : non seulement Roxane semait la zizanie dans une famille unie, mais encore l'homme qu'elle avait séduit avait vingt ans de plus qu'elle, était son cousin et père de trois enfants.

Peu de temps après, elle révéla son secret à ses parents. Thibault vivait alors avec une femme prénommée Roxane, comme elle. Malgré la rareté de ce prénom, il avait réussi à sceller une union avec une autre Roxane, tout comme dans l'exemple évoqué précédemment.

Les révélations de Roxane déclenchèrent des réactions en chaîne : la mère fut hospitalisée pour dépression pendant plusieurs semaines, le père commença un travail psychologique ; un des frères, pour éviter de frapper Thibault, partit vivre à des milliers de kilomètres de là. La sœur aînée, alors mariée, traversa une grave crise conjugale, car son époux l'avait culpabilisée... L'édifice familial s'était écroulé. Thibault, lui, persévéra dans ses passages à l'acte : il sombra dans l'alcoolisme et se fit renvoyer de son travail. Après une violente dispute dans un café, la police l'incarcéra pour coups et blessures.

En fait, Thibault avait tout mis en oeuvre pour payer sa « faute ». Il avait fait en sorte d'aller en prison pour liquider sa dette. C'est dans ce contexte qu'il reprit espoir et commença une formation professionnelle. Le passage par la loi extérieure avait, d'une certaine façon, rétabli ses limites internes, mais Roxane, affligée par cette cascade d'événements, eut du mal à trouver son chemin.

Ces histoires montrent à quel point l’inceste frère-sœur peut être tragique quand il s¹accompagne d’abus sexuels.

8. LES SECRETS DE FAMILLE

Les secrets de famille ont pour objet des situations douloureuses ou honteuses. Certains événements apparemment anodins sont gommé de la mémoire consciente, mais fonctionnent dans l’inconscient des individus et se renforcent au fil des générations. Ils s’organisent comme des secrets qui finissent par peser lourd.

Souvent aussi, les secrets de famille ont pour objet une ou plusieurs transgressions des normes morales (un adultère, par exemple) ou juridique (la prison), mais aussi l’inceste, le viol, la maladie mentale, le suicide, l’alcoolisme, la toxicomanie.

Ces traumatismes peuvent être connus de tous et évoqués, mais le plus souvent, on tente d’effacer ces événements en les cachant. L’histoire devient un secret aussi lourd à porter pour ceux qui le cachent que pour ceux qui le subissent, car le secret reste présent et actif dans l’espace psychique individuel.

9. VIVRE AU QUOTIDIEN AVEC LE HANDICAP OU LA MALADIE

Les enfants souvent hospitalisés pour être soignés acceptent les traitements même les plus agressifs. Et si on leur explique les modalités d¹une intervention, ils la supportent mieux. Pour ne pas affoler l’enfant, il arrive qu’on leur donne peu d’informations sur leur état de santé. Les enfants construisent alors leur propre raisonnement. Ils respectent le silence des adultes et n’osent pas poser de questions. Souvent, ils sont loin de la réalité et minimisent ou exagèrent la gravité d’un trouble. L’attitude la plus adéquate consiste à aider l’enfant souffrant ou sa fratrie à formuler sa représentation de la maladie, à l’inciter à poser des questions : il a envie de parler et de sentir qu’on l’écoute.

En général, les parents mettent toute leur énergie à rester disponibles pour l'enfant malade. Les mères sont plus attentives que les pères qui se sentent impuissants, moins efficaces que leur femme. La relation mère-enfants s'intensifie avec un risque dépressif pour celle-ci, principalement lorsqu'elle est hospitalisée avec l'enfant. Elle vit alors dans un monde clos, médicalisé et s'interdit tout autre lien. Elle ne peut plus être femme, elle n'est plus que mère d'un unique enfant. Le père est peu disponible psychiquement, même s'il est présent.

Les répercussions sur la fratrie sont importantes : les frères et sœurs se sentent « abandonnés » en raison des circonstances. L'absence des parents pourrait être compensée par les grands-parents ou les oncles et tantes.

Si la maladie réunit ceux qui souffrent, elle les sépare aussi. Les difficultés s'exacerbent devant l'angoisse de la mort. Des réactions telles que la fuite, le rejet, ne sont pas rares. Nombreux sont ceux qui ne supportent pas l'épreuve à traverser, et des couples se séparent à la suite de tels traumatismes.

Certains enfants doivent affronter simultanément la maladie ou la mort d'un frère ou d'une sœur et la séparation de leurs parents. Le processus de parentification une est une réaction à cette situation. À peine sortis de l'enfance, ils deviennent adultes et jouent un rôle parental, comme parents » de leurs propres parents.

La position fraternelle varie en fonction du degré du handicap. De son origine (inné ou acquis), de l'expression de ses troubles (moteurs, psychologiques, intellectuels) et des perspectives d'avenir.

La parentification est un renversement des rôles parents-enfants, temporaire ou continu. Il s'ensuit une distorsion dans la relation entre deux partenaires (enfant-parent ou conjoints) dont l'un met l'autre dans une position de parent. Un enfant peut ainsi devenir le père ou la mère de ses propres parents. Elle est à distinguer des processus d'identification et d'identification projective, tout en étant un composant de ces processus. La fonction de parentification est de prévenir l'épuisement émotionnel de la personne en défaut de parentalité. L'exploitation inconsciente de l'enfant par ses parents peut conduire à des troubles psychopathologiques.

10. LE DECES PRECOCE D’UN FRERE OU D’UNE SOEUR

Perdre un enfant, c’est inverser l’ordre générationnel de la vie, c’est devoir accepter l’inacceptable. La mort d’un vieillard est douloureuse mais normale, la mort d’un adulte est traumatique ; la souffrance engendrée par celle d’un enfant atteint les limites de l’insoutenable.

La mort de l'enfant est injuste. Elle nous atteint au plus profond de nous. Elle sollicite un intense niveau émotionnel. La mortalité infantile est aujourd'hui minime dans nos contrées, ce qui contribue à amplifier l'impact du décès d'un bébé ou d'un jeune. Maladie, accident, négligence sont à l'origine de ces deuils. Les circonstances du décès influencent considérablement le devenir des parents et de la fratrie. Accompagner son enfant atteint d'une maladie incurable en présence d'une équipe médicale attentive n'a rien à voir avec un décès accidentel dû à un défaut de surveillance ; là, la culpabilité aura du mal à s'effacer.

La douleur morale qui accompagne le deuil se surajoute à une inhibition, à un rétrécissement du champ relationnel. Seul compte cet enfant disparu ; le processus d'idéalisation est encore plus important que lorsqu'il s'agit d'un adulte. La solitude ressentie par les parents peut renforcer la relation de couple, mais elle peut aussi amplifier les tensions et faire éclater de nouveaux conflits. La fragilité, le retrait ne favorisent évidemment pas l'interaction conjugale, d'autant que des mécanismes ambivalents se mettent en oeuvre.

Il faut des mois, parfois des années, pour que le cours normal des choses se rétablisse. Certains ne se résignent jamais à la perte de l'enfant et ce deuil retentit manifestement sur les autres enfants qui se sentent délaissés, pas « à la hauteur », incapables d'être aussi « bien » que celui qui n'est plus là. Ils participent au culte mortuaire de celui qu'ils n'ont pas ou peu connu, et qu'ils ne réussiront jamais à remplacer dans le cœur de leurs parents.

« L’effet le plus général de la perte d’un membre de la famille est probablement l’insécurité relationnelle ultérieure envers les tiers. Plus la perte aura été importante et plus l’insécurité se manifeste chez celui qui l’a subie ».

11. LES ENFANTS DE REMPLACEMENT

Un enfant conçu peu de temps après la mort d’un aîné aura pour mission impossible de le remplacer.

La transmission du prénom d’un enfant mort a été étudiée aussi bien dans la clinique de patients anonymes que dans les récits d’illustres personnages dont la santé mentale était altérée mais dont le génie a su s’exprimer. D’une certaine façon, le patient psychologique prend la place du défunt, car il possède déjà son identité. Redonner le même prénom, c’est pour les parents, effacer en quelque sorte le drame, annuler la mort.

Salvador Dali a publié de nombreux textes qui témoignent de l’importance du traumatisme ressenti par les enfants de remplacement. Son père, notoire, s’appelait Salvador. Sa mère ne travaillait pas. Salvador Dali est né le 11 mai 1904, neuf mois et onze jours après que son frère aîné, Salvador Dali, fût décédé à l'âge de vingt et un mois et vingt jours.

Ces dates sont importantes car Salvador Dali racontait que son frère était mort à l'âge de sept ans, trois ans avant sa naissance. Il occultait ainsi le fait d'avoir été conçu quelques jours seulement après la mort de ce frère.

« Moi, j'ai connu la mort avant de vivre la vie... Désespérés, mon père et ma mère ne trouvèrent de consolation qu'à mon arrivée au monde. Mais leur malheur imprégnait les cellules de leur corps. Dans le ventre de ma mère, je ressentais déjà leur angoisse... elle ne m'a pas quitté. Ce frère mort dont le fantôme m'a accueilli en guise de bienvenue était, si l'on veut, le premier diable dalinien. Je le considère comme un essai de moi-même, une sorte de génie extrême. Ce n'est pas un hasard, s'il se nommait Salvador comme mon père, Salvador y Cusi, et comme moi. Il était le bien-aimé : moi, on m'aima trop. En naissant, j'ai mis mes pas dans les pas d'un mort adoré, qu'on continua d'aimer à travers moi, davantage encore peut-être ... j'ai appris à vivre en remplissant le vide de l'affection qu'on ne me portait pas vraiment ... »

Les véritables dates ont été retrouvées et montrent que la conception de Dali s'est faite en réalité au moment du décès de ce frère. Comment la mère de Salvador Dali a-t-elle vécu cette grossesse, alors qu'elle venait de perdre un jeune enfant ? Probablement, le fait d'être enceinte lui évitait-il une partie du travail de deuil.

On se retrouve dans le même cas de figure que pour Van Gogh conçu dans les mois qui suivent le décès du bébé Vincent.

Dali a organisé son fonctionnement psychique grâce à capacités picturales géniales.

Cette histoire montre que donner à un enfant le prénom de celui qui vient de mourir permet, d’une part, d’éviter aux parents le travail de deuil et, d’autre part, de réincarner le mort.

Des enfants ont pu être considérés comme des enfants de remplacement avec le sentiment constatant de ne pas pouvoir exister dans la vie comme être unique, mais avec la mission impossible de réparer le deuil de l’enfant mort, forcément idéalisé. Le remplaçant naît dans une atmosphère de deuil non liquidé ; identifié au disparu dont on lui attribue la place, il n’a pas le droit d’être lui-même ; enfin, pèse sur lui un sentiment de culpabilité tout à fait paradoxal. Ces handicaps de départ ne seront pas sans conséquences sur la trajectoire de la personnalité des enfants de remplacement. Certains paraissent se sortir fort bien des risques encourus. D’autres, dans leur désir légitime d’exister par eux-mêmes, d’être quelqu’un, seront amenés, inconsciemment, à sortir des normes sociales, puisque c’est toujours l’autre que l’on voit à travers eux, en un mot à se faire remarquer pour se démarquer du petit mort, toujours vivant.

Cette coïncidence mort-naissance évoque, pour nous, le cas d'un patient, Romain. Lorsqu'il est né, sa sœur, âgée de cinq ans, est tombée malade. On a diagnostiqué une leucémie. Romain a toujours vu cette sœur souffrante et, au plus profond de lui, il pensait que c'était peut-être sa naissance qui avait déclenché la maladie.

« Ne serait-ce pas une forme extrême de jalousie, cette leucémie ? » disait-il. Après plusieurs rémissions et rechutes, l'adolescente meurt le jour anniversaire des huit ans de Romain. Sa culpabilité s'accroît. Il se sent responsable de la maladie et de la mort de sa sœur. Dès lors, chaque année, la famille se réunit pour célébrer le deuil et, accessoirement, souhaiter à Romain un « bon anniversaire ». L'histoire devient encore plus tragique lorsque le père des enfants, qui ne s'est jamais remis de la mort de sa fille, se suicide... le jour des quatorze ans de Romain.

Dès lors, Romain n'a d'autre issue que de mettre sa vie en danger par de nombreux comportements à risques (accident de voiture, coma éthylique, overdose) pour s'effacer. « Je suis né avec la mort, je porte la mort, je suis coupable de la mort de ma sœur et de mon père. »

12. LES FRATRIES RECOMPOSEES

La notion de famille recomposée, « mosaïque » ou reconstituée, est un fait récent dans notre société. En réalité, ces situations existent depuis toujours, mais nous y sommes encore peu habitués. Elles sont, en revanche, familières aux anthropologues et aux historiens.

Dans la Bible, Abraham eut deux enfants : Ismaël, le fils de sa servante Agar, et Isaac, de sa femme sara.

Sara n'arrivait pas à être enceinte, aussi avait-elle proposé à sa servante de faire un enfant avec son mari. Ce n'est qu'à quatre-vingt-dix ans que Sara enfanta Isaac. A cette époque, on s'arrangeait avec les problèmes de stérilité et de longévité ! Pourtant, tout n'était pas si simple car Sara, après avoir conçu Isaac, obtint qu'Agar soit répudiée et Ismaël écarté de l'héritage.

Jacob eut treize enfants : sept de Léa, qu'il épousa à la place de sa sœur Rachel ; deux fils de Rachel, que finit par épouser (dont Joseph), puis deux de Bila, la servante de Rachel, et deux de Zilpa, la servante de Léa. Ces épisodes bibliques renvoient à la polygamie de l'époque, car aucune des épouses ou concubines n'eut d'autre époux.

On distingue trois types de familles. La forme la plus classique, la famille fonctionnelle, se compose du père, de la mère et des enfants. Le deuxième modèle est appelé monoparental (un parents, le plus souvent la mère, non marié ou divorcé, et un ou plusieurs enfants). Troisième type, les familles « recomposées » : ce terme s'applique aux familles où les enfants vivent avec l'un de leurs parents biologiques, le nouveau conjoint de ce parent et parfois les enfants de ce conjoint. Il peut s'y adjoindre un ou plusieurs enfants nés de la nouvelle union. De nos jours, les mariages sont moins fréquents et les concubinages augmentent, principalement en milieu urbain. Les familles « monoparentales » sont plus nombreuses.

Ces « nouvelles familles » reproduisent fréquemment une configuration ancienne. Aujourd'hui, en Europe, nous avons la chance de vivre jusqu'à soixante-quinze ou quatre-vingts ans. Au cours des siècles précédents, l'espérance de vie était moitié moindre. Au 18ème siècle, atteindre quarante-cinq ans constituait déjà un exploit et le veuvage précoce représentait une situation courante. Rester seul avec de jeunes enfants n'était guère possible et mal vécu par l'entourage. Les remariages étaient plus fréquents qu'on ne le pense. Beaux-pères et belles-mères, appelées « marâtres », avaient communément en charge les enfants du premier mariage de leur conjoint. Les liens familiaux apparaissaient distendus, car nombre d'enfants étaient mis en nourrice ou abandonnés.

Aujourd'hui, les deux parents biologiques sont vivants, les enfants ont donc deux foyers de référence et nouent des liens avec les nouveaux partenaires de leurs père et mère.

La famille classique, constituée des parents géniteurs et d'un ou de plusieurs enfants, semble moins fréquente, voire mythique ou idéalisée. La durée même de la vie du couple, deux fois plus longue qu'aux siècles précédents, semble responsable du nombre croissant des séparations.

Louis Roussel évoque ce problème : « L'enfant, le petit enfant en tout cas, vivait dans un univers stable, peuplé de figures familières. [...] Les repères extérieurs à la famille étaient peu nombreux et ainsi facilement reconnus par le petit enfant. [... ] Les premières années de la vie se passent désormais dans un environnement humain volatile. Le sentiment de précarité qui en résulte est parfois aggravé par la crainte de perdre un de ses parents. Tout enfant est parfois angoissé à l'idée que son père ou sa mère pourrait d'un jour à l'autre mourir. Beaucoup, aujourd'hui, ne se demandent-ils pas, avec un effroi aussi vif, si leurs parents ne vont pas se séparer. »

L’évidence de la divorcialité touche en fait tous les enfants et leur confirme la fragilité de leur environ.

La création d'une nouvelle famille ne va pas sans certaines difficultés, plus ou moins prises en compte par les adultes. Mais on peut « refaire sa vie » : c'est socialement mieux accepté qu'il y a quelques années lorsque les divorces étaient exceptionnels.

La fréquence des séparations a pour corollaire la création de nouvelles unions, cimentées par l'arrivée de nouveaux enfants. Certaines familles ressemblent à des tribus composées de frères, demi-frères, « faux frères », beau-père...

Leur statut social et juridique est fragile. Les nouveaux partenaires des parents, sauf s'ils se remarient, n’ont pas de droit et on ne sait pas comment les nommer.

La solitude des mères divorcées, le cas le plus fréquent des familles monoparentales, est largement sous-estimée ; lorsque les enfants sont petits, elles sont confrontées à une dépendance affective et matérielle que l'entourage méconnaît et que la société prend peu en compte. Assumer les rhinopharyngites, la fièvre d'un enfant la nuit sans pouvoir acheter les médicaments d'urgence, quand le médecin repart, ce n'est guère facile. Les aléas de la petite enfance s'ajoutent aux tâches quotidiennes. Pas de relais possible pour calmer une crise de larmes, faire ranger la chambre ou réciter les devoirs.

Le nouveau partenaire de la mère arrive comme un « sauveur » alors que lui aussi a ses problèmes personnels. Reconstruire une famille ne se fait pas sans heurts, ni sans répétitions.

Les enfants ne s'adaptent pas toujours facilement : ils acceptent plus ou moins bien ces autres jeunes qui constituent, pour un temps, leur proche famille. Pour un temps, car les années passent, le processus d'autonomisation survient et les jeunes quittent la maison. De nouvelles ruptures peuvent se produire, et cette famille recomposée éclater à son tour. Comment garder des liens avec le fils du copain de sa mère alors qu'elle ne veut plus les revoir et que rien ne l’y oblige ? Quelle est la bonne attitude ? Les enfants sont pris dans des niveaux de complicité relationnelle souvent lourds à gérer.

Les beaux-parents, les demi-frères, les « faux frères » ne restent des points d'ancrage qu'en raison des liens positifs et durables créés.

13. LES RELATIONS FRATERNELLES A L’AGE ADULTE

La première séparation entre frères et sœurs intervient à l’adolescence pour des raisons diverses, qu’il s’agisse de l’intégration à une école ou une université ou de l’installation avec un partenaire.
Le choix d’un conjoint

Combien de fois avons-nous vu des couples se séparer parce que leur union s’était construite en réaction à la famille : pour échapper à une emprise trop forte, des jeunes s’engagent prématurément.
Le choix du conjoint est un des principaux facteurs de la modification des liens fraternels.

Les parents restent le modèle auquel chacun se conforme ou s’oppose. Ces mécanismes sont manifestes quand ils sont induits par les choix religieux, politiques, mais d¹autres sont inconscients et plus lourds à gérer.

Le choix du conjoint se fait en accord ou en opposition avec notre histoire familiale. On épouse souvent une personne qui a des points communs avec son père, sa mère ou bien avec son frère ou sa sœur.

Lors des remariages, la ressemblance du nouvel élu avec le premier conjoint est souvent troublante. Notre inconscient nous conduit à répéter les mêmes choix, parfois les mêmes erreurs.

Identification parentale ou fraternelle, la proximité affective et culturelle reste la règle fondamentale, créant ainsi des situations de rivalité. Combien de fois avons-nous connu des jeunes filles qui sortaient successivement avec deux frères ou un jeune homme qui tombait amoureux de deux sœurs.

Pour l'Américain Murray Bowen, on choisit un partenaire de même niveau de différenciation du « moi », autrement dit au même stade de différenciation de sa famille d'origine. Chaque individu doit pouvoir créer un nouveau système familial. La dépendance affective retentit sur les relations fraternelles : l'entente ou la mésentente dépend de l'identification ou du rejet du modèle parental.

Pour Murray Bowen, et plus encore pour Walter Toman, rien n'est laissé au hasard. Le choix du conjoint est lié à notre histoire, à nos relations avec nos parents, aux règles implicites édictées dans notre famille. Walter Toman va encore plus loin puisqu'il décrit des corrélations entre le rang de la fratrie, les écarts d'âge et le choix du conjoint, l'interaction du couple parental et la gestion des relations fraternelles chez nos enfants. Sa classification a eu le mérite d'introduire, dès les années 60, une réflexion sur la constellation fraternelle.

Pour cet auteur, une prédictibilité est possible en mettant en équation le rang dans la fratrie du père et de la mère. À partir d'innombrables configurations mêlant rang et sexe des partenaires, il tente d'expliquer les difficultés conjugales. On voit tout l'intérêt de sa démarche, car il inscrit le poids de la fratrie comme prévalent dans le choix du conjoint et dans les contre-identifications avec les enfants, tel un aîné vis-à-vis de son fils aîné...

Aude a divorcé à trente-huit ans. Elle est la troisième d'une fratrie de quatre enfants. Tous ses frères et sœurs se sont séparés de leurs conjoints, à quelques années d'intervalle. Leurs parents avaient entretenu des relations conflictuelles pendant plus de vingt ans, tout en restant ensemble «pour les enfants». Sitôt le dernier marié, ils s'étaient autorisés à divorcer.

Les enfants, élevés dans un climat de disputes incessantes, avaient tour à tour préféré divorcer plutôt que d'imposer aux enfants leurs problèmes conjugaux. En remontant dans la généalogie, les grands parents d'Aude avaient divorcé, à une époque où cela ne se faisait guère. La mère d'Aude, ayant souffert de cette rupture, souhaitait préserver son couple coûte que coûte. Dans cette histoire, le mythe de l'harmonie fonctionne sur le mode : « Nous resterons ensemble », puis sur celui de la séparation préférable aux conflits : une génération divorce, la suivante fait tout pour rester ensemble. a la troisième génération, on se sépare pour éviter les tensions subies durant l’enfance.

Les familles d’origine jouent un rôle capital dans l’évolution des couples.
La jalousie

Prenez deux enfants qui rivalisent pour l’affection et l’attention de leurs parents. Ajoutez l’envie que ressent chaque enfant à l’égard des succès de l’autre ; la frustration personnelle dont ils n’osent se défouler sur personne d’autre qu’un frère ou une sœur ; et il n’est pas difficile de comprendre pourquoi les relations entre frères et sœurs sont empreintes d’un potentiel émotionnel assez détonnant pour provoquer des séries d’explosions quotidiennes.

Dans toutes nos lectures, nous rencontrions des arguments selon lesquels les conflits entre frères et sœurs avaient leur utilité : les luttes pour se dominer l’un l’autre trempaient le caractère des enfants ; les incessants chahuts à la maison développaient leur vivacité, leur agilité ; les prises de bec leur apprenaient la différence entre faire de l’esprit et faire du mal ; les frictions ordinaires de la vie commune leur enseignaient comment s’imposer, se défendre, trouver des compromis. Et parfois, l’envie que causaient mutuellement les talents individuels leur inspirait de travailler plus dur, d’être plus persévérants, de réussir.

C’est là le meilleur de la rivalité entre frères et sœurs. Le pire comme les parents nous le disaient d’emblée, pouvait démoraliser sérieusement un enfant, et même provoquer des dommages permanents.

Voyons les causes de la compétition qui ne cesse d’opposer les frères et sœurs.

D’où cela provient-il ? Les experts en la matière semblent d’accord : à l’origine de la jalousie entre frères et sœurs, il y a le désir profond qu’éprouve chaque enfant d’avoir pour lui tout l’amour de ses parents. Pourquoi cet acharnement à être le seul ? Parce que, de la Mère et du Père, ces sources merveilleuses, coulent toutes les choses dont l’enfant a besoin pour survivre et pour progresser : nourriture, abri, chaleur, caresses, sens de l’identité, sens de la valeur, de la spécificité. C’est le soleil de l’amour parental, la lumière de l’encouragement parental qui permettent à un enfant de devenir plus compétent, et d’apprendre, petit à petit, à maîtriser son environnement.

Pourquoi la présence d’autres enfants ne jetterait-elle pas une ombre sur sa vie? Les enfants redoutent tout ce qui pourrait menacer l’essentiel de leur bien-être. La seule existence d’un enfant ou de plusieurs enfants supplémentaires dans la famille pourrait signifier MOINS. Moins de temps en tête à tête avec les parents. Moins d’attention en cas de blessures ou de déceptions. Moins d’approbation pour les réussites. Et, le plus terrifiant, cette pensée : « Si Maman et Papa témoignent tant d’amour, d’intérêt et d’enthousiasme pour mon frère ou ma sœur, peut-être sont-ils mieux que moi. Et s’ils sont mieux, cela doit vouloir dire que je suis moins bien. Et si je suis moins bien, alors ma situation est vraiment incertaine. »

Voilà à quelle tâche surhumaine les parents sont confrontés! Il faut qu’ils trouvent la façon de rassurer chaque enfant, de lui faire sentir qu’il est en sécurité, qu’il est spécial, aimé ; il faut qu’ils aident les jeunes antagonistes à découvrir les agréments du partage et de la coopération; et il faut qu’ils parviennent à poser des jalons pour que les enfants pris aujourd’hui au piège, de leurs conflits puissent un jour être l’un pour l’autre une source de plaisir et de réconfort.

Frères et sœurs ont besoin que leurs sentiments réciproques soient reconnus

L’enfant : « Il a pris mes nouveaux patins. Je vais le tuer. »

Par des mots qui définissent ces sentiments :

« Tu as l’air furieux! »

ou

Par des souhaits :

« Tu voudrais qu’il ne prenne pas tes affaires sans te demander la permission. »

ou

Par des activités symboliques ou créatives :

« Et si tu fabriquais une pancarte ‘Propriété privée’ pour accrocher à la porte de ton placard ? »

Les enfants ont besoin qu’on les empêche de se faire du mal.

« Arrête ! Les gens ne doivent pas se faire du mal ! »

Et qu¹on leur montre comment manifester leur colère de façon acceptable.

« Dis-lui avec des mots combien tu es furieux. Dix-lui : « Je ne veux pas qu’on prenne mes patins sans ma permission! »

LES DANGERS DE LA COMPARAISON

Résistez à la tentation de comparer :

Au lieu de comparer défavorablement un enfant à un autre (« Pourquoi ne peux-tu prendre tes vêtements comme ton frère ? »), ne parlez à l’enfant que de ce qui vous déplaît dans sa conduite :

Décrivez ce que vous voyez :

« Je vois une veste toute neuve par terre. »

ou

Décrivez ce que vous ressentez :

« Cela me contrarie. »

ou

Décrivez ce qu¹il faut faire :

« La place de cette veste est dans la penderie. »

Au lieu de comparer favorablement un enfant à un autre (« Tu es tellement plus ordonné que ton frère »), ne parlez que de ce qui vous satisfait dans sa conduite :

Décrivez ce que vous voyez :

« Je vois que tu as pendu ta veste. »

ou

Décrivez ce que vous ressentez :

« Ca me fait plaisir. J’aime que l’entrée soit bien rangée. »

Donner la même chose, c’est donner moins.

Les enfants n’ont pas besoin d’être traites tous pareils mais d’être traités chacun spécialement.

Au lieu de donner la même quantité à tous,

« Voici, maintenant tu as exactement la même quantité de raisin que ta soeur. »

Donnez selon les besoins de chacun :

« Veux-tu un peu de raisin ou beaucoup? »

Au lieu de manifester autant d¹affection à tous,

« Je t’aime exactement comme ta sœur »

Montrez à chaque enfant que vous l¹aimez spécialement :

« Tu es le seul « toi » dans le monde entier, Personne ne pourrait jamais prendre ta place. »

Au lieu de consacrer autant de temps à tous,

« Quand j’aurai passé dix minutes avec ta sœur, je passerai dix minutes avec toi. »

Consacrez le temps nécessaire aux besoins de chacun :

« Je sais que je passe beaucoup de temps à faire réviser ta sœur pour sa composition. C’est important pour elle. Dès que j’aurai terminé, je veux que tu me dises ce qui est important pour toi. »

FRÈRES ET SOEURS DANS LEUR RÔLE

Que personne ne bloque un enfant dans un rôle

Ni ses parents,

Au lieu de :

« Johnny, est-ce toi qui a caché la balle de ton frère ? Pourquoi es-tu toujours aussi méchant? »

Parent :

« Ton frère veut que tu lui rendes sa balle »

Ni l’enfant lui-même,

Johnny :

« Je sais que je suis méchant. »

Parent :

« Tu peux aussi être gentil, si tu veux. »

Ni ses frères et sœurs,
Sœur :

« Johnny, tu es méchant ! Papa il ne veut pas me prêter son scotch ! »

Parent :

« Essaie de lui demander autrement. Tu seras surprise de voir combien il peut être généreux. »

Si Johnny s’attaque à son frère, occupez-vous de son frère sans vous attaquer à Johnny.

Parent :

« Ca doit te faire mal. Laisse-moi te masser. Johnny a besoin d’apprendre à s’exprimer avec des mots, et non pas avec ses poings. »

Plus jamais d’enfant a problèmes.

Les enfants qui ont un problème n’ont pas besoin qu’on les considère comme des enfants qui posent un problème.
Mais ils ont besoin :

Qu’on reconnaisse leur frustration :

« Ce n¹est pas facile. Ca peut être frustrant »

Qu’on apprécie ce qu’ils ont accompli, même si ce n’est pas parfait :

« Cette fois, tu as bien progressé. »

Qu’on les aide à trouver les façons de faire :

« Ca c’est difficile. Que fais-tu dans un cas comme celui-ci ? »

Comment régler les disputes ?

Niveau I : Chamailleries normales

Ignorez-les. Pensez à vos prochaines vacances.
2. Dites-vous que vos enfants, en réglant leurs conflits, font une expérience importante pour eux.

Niveau II : La situation se dégrade ; l’intervention d’un adulte peut être utile

Reconnaissez leur colère. « Vous avez l’air furieux l’un contre l’autre. »

Exprimez le point de vue de chaque enfant. « Alors, Sara, tu veux garder le petit chien parce qu’il vient de s’installer dans tes bras. Et toi Billy, tu trouves que tu as aussi le droit de le prendre. »

Décrivez le problème avec respect. « C’est un cas difficile : deux enfants et seulement un petit chien. »

Manifestez votre confiance dans la capacité des enfants à trouver leur propre solution. « J’ai confiance en vous pour trouver une solution qui soit équitable pour vous deux… et juste pour le chien. »

Quittez la pièce.
Niveau III : Situation potentiellement dangereuse

Informez-vous « Est-ce une bagarre pour rire ou une vraie bagarre? » (On a le droit de se battre pour jouer. Mais pas le droit de se battre réellement.)
2. Informez les enfants.

« On a le droit de se battre pour jouer si tout le monde d’accord. » (Si cela n’amuse pas les deux enfants, il faut arrêter.)
Niveau IV : Situation vraiment dangereuse. Intervention de l¹adulte indispensable.

1. Décrivez ce que vous voyez. « Je vois deux enfants très en colère qui vont se faire du mal. »

2. Séparez les enfants. « Ensemble vous n’êtes pas en sécurité. Il faut prendre le temps de vous calmer. Vite, toi dans ta chambre, et toi dans la tienne. »

Quand les enfants ne sont pas capables de trouver par eux-mêmes une solution a leur problème

Réunissez les adversaires. Expliquez l’objet de la réunion et les règles fondamentales.
Notez par écrit les sentiments et les préoccupations de chaque enfant, et relisez à haute voix,
Laissez-leur du temps pour réfuter.
Invitez chacun à trouver des solutions. Mettez par écrit toutes les idées, sans les juger.
Choisissez parmi les solutions celles qui conviennent à tout le monde.
Suivez l’évolution des choses.
Comment venir en aide a un enfant qui le demande sans prendre parti ?

Jimmy :

« Papa, je ne peux pas finir ma carte pour l’école. Dis-lui de me donner les crayons de couleur. »

Amy :

« Non. Je dois colorier ma fleur. »

1. Définissez le cas de chaque enfant.

« Voyons quel est le problème. Jimmy tu as besoin des crayons de couleur pour terminer ton travail. Et Amy tu veux finir ton coloriage. »

2. Définissez le principe ou la règle.

« Le travail scolaire a la priorité. »

3. Laissez la porte ouverte aux possibilités de négociation.

« Mais, Jimmy, si tu veux trouver une solution avec ta sœur, cela te regarde. »

4. Partez.

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